Pratiques artistiques, de la mémoire culturelle à la découverte de l’autre.

Pratiques artistiques, de la mémoire culturelle à la découverte de l’autre.

Un objet d’art, par définition, est un objet reconnu comme tel par un groupe.

Marcel Mauss

Plusieurs civilisations se construisent avec une pratique artistique. Cette pratique participe à la construction d’un socle culturel commun. Pour un groupe social spécifique, un objet du quotidien peut apparaître comme un élément artistique. Les barques lébou sénégalaises en témoignent. Pour les sociétés occidentales, ces constructions utilitaires deviennent des objets d’artisanat d’art. Pourtant, certains groupes sociaux évoluent dans un contexte naturel, sans organisme étatique et culturel, c’est-à-dire sans création artistique ou artisanale. Ce sont les études de Levis Strauss, qui montrent que des communautés présentent la particularité de n’avoir peu, ou aucune création artistique. Malgré tout, la création et l’objet d’art reste un biais essentiel de découverte et de compréhension de l’autre.

Les Objets d’arts : témoins passés et actuels

Les objets utilitaires deviennent des objets d’arts. C’est ainsi, face à un élément qui nous semble étranger, nous avons tendance à hisser cet élément au rang d‘artefact artistique. Un constat qui prend tout son sens face à des objets anciens par exemple, ainsi, les objets néolithiques sont à nos yeux des œuvres d’art. Pourtant, les vases en céramique, de culture Cucuteni, entre 4800 et 3800 av J-C. étaient simplement utilitaires. Donc, ce qui est éloigné de notre manière de vivre, de nos productions artisanales obtiennent rapidement le statut d’objet d’art. Pendant le XVIIIe et le XIXe siècle, les nobles et bourgeois occidentaux ont développé un intérêt pour les objets d’horizons lointains. Sous le règne de Louis XIV, la cours possédait un goût prononcé pour les porcelaines et objets chinois : un attrait pour les décors exotiques, jusqu’à imiter l’art chinois ou japonais. Les œuvres de l’artiste François Boucher, par exemple, montrent des influences asiatiques.

À l’ère contemporaine, les productions artistiques se placent comme témoin d’autres cultures. Certains artistes l’ont démontré en s’appropriant des codes culturels pour créer de nouvelles images mélangeant l’art de plusieurs civilisations.  Une expression artistique inspiré de l’art africain marque le début du XXe siècle par exemple, ainsi, lors de l’exposition Universelle à Paris, en 1906 traduit un intérêt pour les objets d’arts de l’Afrique ancienne. Les peintres occidentaux assimilent ces formes, comme Pablo Picasso avec les Demoiselle d’Avignon, réalisée en 1907. C’est un besoin de comprendre l’autre, d’assimiler les différents savoirs faires pour les maitriser. Ces transformations de codes artistiques ont amené de nouveaux enjeux culturels. Les peuples victime du colonialisme, commencent aujourd’hui à revendiquer leur patrimoine culturel à travers l’exposition et la mise en valeur d’objet d’art. La biennale de Dakar illustre cet argument. Instaurée en 1989, elle est dédiée à la création africaine contemporaine.

Outre leur dimension historique, les objets d’art amènent à la découverte de l’autre dans un contexte plus actuel. Il s’agit de conserver des traces, au moment même où l’histoire s’écrit. Sana Yagizi, poursuit ainsi ce but. En tant que graphiste, elle a créé une plateforme web pour conserver les productions artistiques syriennes au nom de la liberté. Le projet s’intitule Créative Memory. Il référence les représentations artistiques pour constituer une mémoire créative de la révolution syrienne. Des images, slogans, métaphores, des grands symboles internationaux réutilisés au nom de la paix. Cette démarche porte le témoignage d’une histoire actuelle, dénonce et éduque par rapport aux évènements et à l’histoire de la Syrie. La création artistique peut aussi retranscrire la violence d’événements récents. C’est le cas de l’artiste plasticien Kader Attia, français et algérien, à travers sa sculpture On n’emprisonne pas les idées, de 2018. L’installation retrace une altercation violente entre les forces de l’ordre et des réfugiés du quartier de Stalingrad à Paris. La scène n’existe plus, mais les objets restent et témoignent. La photographie possède aussi un rôle essentiel, c’est un témoignage direct et actuel. Elle retranscrit une émotion, interpelle et informe. Le cliché d’Alan Kurdi, petit garçon retrouvé échoué sur une plage en Turquie en est un exemple. D’une grande violence, la photographie porte la douleur vécue par un peuple, essayant par tous les moyens de trouver refuge en Europe.

Porter et transmettre la mémoire

L’objet d’art se compose de symboles, motifs comme l’écriture. Tous les trois viennent du signe. Ils conservent des traces de civilisations et événements passés. L’écriture est issue de symboles, de figures qui retranscrivent un alphabet, des sons phonétiques. La communication n’est pas uniquement réservée aux traces écrites. Les objets d’art, symboles et dessins sont aussi reflet d’une méthode de communication. La divination en Mésopotamie et en Chine, utilisait des symboles pour communiquer avec les Dieux. L’objet étaient déjà utilisé comme un moyen de communication avant l’écriture. Une différence entre l’image et l’écrit subsiste. L’image ne fonctionne pas comme un système. Le procédé d’écriture, quant à lui, relève de messages délivrés par des signes visuel. Les dessins des grottes paléolithiques montrent que le moyen principal de communication avant l’invention de l’écriture était le dessin. La naissance de l’écriture a permis de dissocier les deux créations de signes. L’objet d’art comportent aussi des symboles permettant d’identifier son utilité et son origine. Les formes et le langage iconographique utilisé informent sur les pratiques, habitudes et méthodes de vie d’une civilisation. Les images et les objets communiquent et transmettent des messages au même titre que l’écriture.

Le rôle des objets d’art préservent la mémoire collective. Qu’il s’agisse d’objet, peinture ou photographie. C’est un acte cathartique. Nous pouvons alors prendre appui sur le travail de l’artiste Bruce Clarke. Ce dernier a réalisé, en 2000 un projet de jardin de la mémoire, pour commémorer les pertes du génocide des Tutsi au Rwanda. En 2000, la reconstruction psychologique débute pour les rescapés. À travers cette forme de thérapie publique, l’artiste crée un mémorial pour marquer symboliquement le début d’un deuil collectif. Sur une étendue d’environ un kilomètre carré, un million de pierre est déposées, symbolisant chaque personne disparue. Elles forment un dessin géométrique. C’est donc une création collective qui lutte contre l’oubli. En 2014, l’artiste est en charge d’un nouveau projet. 20 ans après, il réalise les Hommes debout. Des portraits de plain-pied d’hommes, de femmes et d’enfants, plus grand que nature, exposés dans les lieux publics où ont eu lieu des massacres. L’artiste participe à la commémoration du génocide, et lutte contre le silence et le tabou qui peut s’installer après un génocide où un épisode collectif traumatisant.

Les mise en images contemporaines accompagnent un deuil et une reconstruction collective. Elles informent sur des événements passés. Il en est de même pour de nombreux films relatifs aux événements de la seconde Guerre Mondiale. L’un des premiers et des plus marquant est Nuit et Brouillard, réalisé en 1955 par Alain Resnai. Une production cinématographique sortie dix ans après les faits. Composée d’images d’archives et de plans en couleurs, mêlant à la fois photographies et vidéos, l’objectif du réalisateur est bien d’éduquer et de faire prendre conscience de la violence des faits. La production, aux allures de reportage, choque et nous plonge dans la réalité des évènements. D’autre productions cinématographiques, plus ou moins récentes dévoilent les mêmes faits sous des angles multiples et différents : La résistance, les relations franco-allemandes ou franco-anglaises. Il s’agit de raconter, de retranscrire des faits réels et de faire prendre conscience du déroulé historique des évènements.

Les objets d’art et les productions artistiques ont donc pour rôle de briser un silence qui peut s’installer autour d’événements contemporains dramatiques, d’accompagner vers une forme de guérison psychologique et collective, de conserver la mémoire de ces événements. Une mémoire humanisée qui nous fait découvrir toutes les facettes de l’histoire et qui visent à rendre hommage et à garder en mémoire.

Les thématiques que j’ai choisi d’aborder dans cet article sont larges et peuvent paraitre complexes. Mais l’essentiel à retenir, c’est que la considération de l’objet d’art, à travers l’histoire et dans les différentes cultures, révèle des éléments sociologiques important. L’art est en ce sens un réel moyen de découvrir l’autre, de son passée et de son présent. La création a donc, à mon sens, une portée de transmission et un rôle communicatif. L’art contemporain peut potentiellement devenir un outil sociologique et ethnologique efficace.


Bibliographie & Sitographie

[Site internet] CLARKE Bruce, artiste plasticien
[Article] CHRISTIN Anne-Marie, écriture, Encyclopædia Universalis
[Article] DAGEN Philippe, Les avant-gardes et l’art nègre, tension visuelle, Le Monde, 2009
[Article] MAMALET Lou, Sana Yazigi, La Mémoire Créative De La Révolution Syrienne, OnOrient, 2019
[Livre électronique] NERAUDAU Jean-PierreL’art chrétien, L’art romain, Presses Universitaires de France, 1997
[Article] NOUCHI Franck, Nuit et brouillard, film de toutes les polémiques, Le Monde, 2014
[Article] RAISON Bertrand, Kader Attia : l’anthropologie de l’effraction, Revue des deux mondes, 2018
[Livre électronique] TERRAY Emmanuel, La vision du monde de Claude Lévi-Strauss, L’Homme, 2010
[Livre électronique] TEYSSANDIER Nicolas, Le concept d’Aurignacien : entre rupture préhistorique et obstacle épistémologique, Bulletin de la SPF, 2008
[Site internet] YAZIGI Sana, La mémoire créative de la révolution syrienne