Musique électronique et Art contemporain : Un mariage électrique ?

Musique électronique et Art contemporain : Un mariage électrique ?

Depuis quelques années, nous assistons à une rencontre assez particulière entre deux univers artistiques : l’Art contemporain et la musique électronique. Je vous vois déjà froncer les sourcils : « Un dj est bien un artiste, cela paraît logique ! » Oui, c’est une certitude. En revanche, le public du monde de la nuit et celui des centres d’art contemporain sont bien différents ! Découvrir des lieux rassemblant les deux univers n’est pas commun, mais cela semble se démocratiser : que ce soit par le biais d’évènements ou pour la création d’une œuvre d’art, les deux formes artistiques tendent même à se confondre. Mais qu’est-ce qui les rapproche véritablement ?

Dj et artiste contemporain : une proximité évidente

La constatation s’impose d’elle-même : la séparation entre DJ et artiste d’art contemporain tend à diminuer. Ce que je veux dire par là, c’est qu’aujourd’hui, il existe des artistes qui réunissent ces deux pratiques en une seule. C’est le cas de Tony Regazzoni, un plasticien qui associe des installations à des environnements sonores pour célébrer les lieux de danse et de fête. En utilisant différents médiums, Tony Regazzoni réunit l’abstraction, l’esthétique underground, et différentes influences de la musique électronique mais aussi littéraire et cinématographique.

Animé par les notions de mise en scène et de constructions d’identités sociales, son travail s’attarde à investir l’espace pour reproduire des formes et des ambiance relatives au monde de la nuit. Dans son travail, on retrouve surtout une dimension ritualisée, faire d’une scène un autel, un lieu intouchable. On assiste également à des collaborations intéressantes, qui donnent naissance à des projets commerciaux. L’exemple de Virgil Abloh appuyé par la marque Pioneer Dj permet de parfaitement illustrer ce point. L’artiste a réalisé ses propres platines et sa table de mixage lors d’une exposition au Museum of Contemporary Art de Chicago en 2019.

C’est donc par ce premier biais que la musique électronique investit les salles d’expositions et les lieux dédiés à l’art contemporain : à travers la pratique de certains artistes qui s’attardent à faire converger ces deux formes artistiques. Pourtant, ce n’est pas la seule.

Le Vjing : Un artiste, deux mondes

Le Vjing, ça vous parle ? Le Vj, qui signifie « video Jockey » est un artiste qui accompagne généralement un Dj et sa performance musicale…. avec une performance visuelle évidemment ! Ce sont des artistes qui maitrisent les pratiques performatives, ils créent, en musique, une œuvre audiovisuelle éphémère à partir d’images. Ils sont généralement pluridisciplinaires et naviguent entre le monde de la nuit et celui de l’art contemporain. A cheval entre deux mondes, ils participent à la rencontre de ces deux secteurs. En voici deux que j’affectionne particulièrement et qui mettent en avant deux techniques complètement opposées de Vjing.

D’abord, il y a le travail de Mathilde Joly. Cette artiste est monteuse et artiste Vjing  pour la scène techno basée à Barcelone. Elle a suivi des études de cinéma et s’est penché sur le cinéma expérimental. Elle s’inspire du travail de montage de Dziga Vertov ou encore du travail du réalisateur Larry Clark.

Son travail est principalement axé sur le « footages » de vidéos d’archives, jouant sur la superposition de documents vidéo en couleurs en en noir et blanc. Les enchaînements sont saccadés, rapides dégagent parfois une certaine violence. Les contrastes sont forts appuyés par des documents en négatif qui confèrent une profondeur à la performance. Avec Alfredo Lunar, elle a co créé l’association « Lunar&Joly Creations » en 2019, une structure qui a pour objectif de développer et de promouvoir les créations audiovisuelles en live performances.

ECLIPSE LUNAR EPISODE 19 – LUNAR x JOLY : performance en ligne.

Ensuite, le travail d’Aka Chang, que j’affectionne particulièrement. Il donne à voir voir l’usage d’une technique complètement différente. C’est un artiste basé à Taipei, de son vrai nom Chang Fangyu, l’artiste s’est fait connaitre par l’utilisation de lasers.  Véritable architecte de la lumière, il déconstruit et sculpte l’espace en collaboration avec musiciens et DJ’s pour donner vie aux performances sonores. Créateur d’un collectif de Vj, « Muse Whisper », il multiplie depuis près de 10 ans les collaborations pour explorer davantage son univers. Il s’exprime à travers des formes minimalistes et vibrantes. Ses performances mettent en avant des motifs souvent géométriques, hypnotiques, dépourvues de couleurs.

Soirées électro et musées : un phénomène qui se multiplie.

Et puis, il y a un dernier élement à mettre en avant. Que ce soit de manière ponctuelle ou répétée, de plus en plus d’institutions publiques et privées proposent des événements électro, animés par un ou plusieurs Djs, directement dans les salles d’expositions.  

Cette initiative donne lieu à de nombreux partenariats et permet un regard nouveau sur les œuvres exposées. Depuis 2008, le célèbre musée Guggenheim à Bilbao accueille une soirée électro mensuelle. En mars 2020, Jennifer Cardini, Perel ou encore Michiwoky étaient au programme. 

Le concept est cependant arrivé plus tardivement en France. Il faut attendre 2016 pour voir ce genre d’événement se démocratiser. Le musée Guimet met en place, cette même année, des soirées techno dans la salle des statues. Des rendez-vous musicaux gratuits qui permettent de réunir simultanément deux types de public autour de l’art sonore et visuel.

Ces événements  appartiennent au mouvement dit de club culture, un phénomène qui suscite de plus en plus de débats autour des expositions d’art contemporain. La club culture s’exprime à travers différentes formes comme l’image, la lumière, le son ou encore le dessin. L’art contemporain et la musique électronique sont ainsi réunis en partageant des influences et des différences.

Les années 1990 représentent un point de convergence entre les deux disciplines, par la diffusion de nouveaux modes de productions digitaux et sonores. Ces innovations permettent de dépasser les frontières entre les catégories de pratiques. Elles permettent de dépasser une seconde barrière : celle qui sépare l’artiste et le spectateur en proposant une vision participative à l’exposition d’art à travers le prisme de l’évènementiel.  

L’objectif n’est pas de simplement visiter une exposition, mais de générer une expérience à travers un mix permettant de s’approprier l’espace différemment. Cela permet de faire connaître des artistes de musique électronique dans un nouveau cadre et de casser l’image de renfermement que peut refléter le milieu de l’art contemporain. A travers la Club culture, la motivation première semble être une démocratisation totale de la création, un élément difficilement concevable dans les circuits de l’art contemporain. 

Le mot de la fin…

Au sein des institutions artistiques, la musique électronique a sans aucun doute un rôle révélateur à jouer. De plus, avec la crise sanitaire que nous connaissons actuellement, ces initiatives permettraient une reconnaissance des acteurs de la musique électronique comme des composantes essentielles, au même titre que les autres formes artistiques. Tendre vers un art dit pluriel ouvrirait alors le champ des possibilités multiples.


Bibliographie & Sitographie

[Lien] « DOSSIER – Quand les musiques actuelles s’invitent dans les musées ou les lieux patrimoniaux« , Club innovation & Culture France, Nine Boutin, 2018.

[Lien] « Ces artistes qui flirtent avec la musique électro« , Arnaud Idelon, Beaux-Arts Magazine, 2019.

[Lien] « UNDRGLOBE, un projet alliant musique électronique et art visionnaire« , Kyoka Eguchi, PWFM, 2019.

[Lien] Art contemporain, musique électronique et « club culture », Majeur 4, Ascaso Osacar Abril, 2001.

[Lien] « La musique électronique, matrice des arts au XXIème siècle? », France Culture, Le billet culturel, Mathilde Serrell, 2019.