« Aujourd’hui, je vous emmène en Colombie. Enfin, pas vraiment. En réalité, je vous emmène à Paris, à la découverte du Panorama du Cinéma Colombien.
Le Panorama du cinéma colombien est un festival qui a débuté le 7 octobre et qui se termine le 12 octobre 2020. Cette année, c’est la 8e édition et l’événement est bel et bien maintenu malgré les conditions sanitaires. Au programme, plus de quarante-neuf projections de films, des tables rondes, des rencontres, des échanges. Bref, vous l’avez compris, de quoi prendre une bonne grosse dose d’Amérique latine en pleine face.
En parcourant le programme, j’ai eu le plaisir de découvrir que le film Tantas Almas, était en ouverture. Tantas Almas, ou La vallée des âmes en français est sorti en 2019. C’est une création de Nicolas Ricon Gille, réalisateur colombien qui vit aujourd’hui en Belgique. Son nom ne vous dit peut-être rien, et pour cause : c’est le premier long-métrage de Ricon Gille. Il y retrace l’histoire d’un père de famille sur un arrière-plan de guerre civile. Le film a été lauréat de l’Etoile d’or au festival du film de Marrakech en décembre 2019. Ici, il est à nouveau mis à l’honneur pour notre plus grand plaisir.
Pour vous parler du synopsis, sans vous dévoiler toute l’histoire évidemment, le personnage principal, José est un pécheur de situation modeste. Un jour, en rentrant du travail, il découvre son village saccagé. Ses deux fils ont été abattus par les paramilitaires, leurs corps vulgairement jetés dans le fleuve. Ce père de famille fait face au déni, au chagrin. Il part à la recherche des dépouilles de ses enfants, pour leur offrir un adieu digne de ce nom. Un objectif qui se traduit par un long périple : la remontée du cours de l’eau, de manière épique et mythologique. José devient la représentation même d’un passeur d’âmes, d’un témoin de l’histoire contemporaine de la Colombie.
Ce que j’aime surtout, c’est le parallèle que nous offre le film entre l’histoire de ce père de famille et l’histoire de la Colombie. Et je pense qu’il est bon pour tout le monde de faire un petit rappel des événements historiques de ce pays.
Pour vous la faire courte, l’élément essentiel de la situation actuelle en Colombie remonte à 1948. Le pays est marqué par une guerre civile meurtrière qui oppose deux camps politiques : les libéraux (les communistes, les socialistes) et les conservateurs. Le point de départ de cette guerre repose sur l’assassinat de Jorge Elicier Gaitan, un candidat du parti libéral à la présidentielle de l’époque. Sa mort signe le début de La violencia, cette fameuse guerre civile. Ce qu’il faut retenir c’est qu’ensuite, le Parti libéral et conservateur s’allient et donnent naissance au Front national. Ils vont cogérer ensemble le pays. Mais certaines milices communistes ont refusé cette nouvelle forme de paix et s’unissent, en devenant les FARCS : l’armée révolutionnaire de Colombie, en 1964.
Les FARCS ont développé une grande activité criminelle autour du trafic de cocaïne et de la détention d’otages, la situation d’Ingrid Betencourt en témoigne, restée captive pendant 6 ans. En écho au FARCS se développent des milices conservatrices d’ordre privé : les paramilitaires. Ils sont tenus responsable par les ONG d’une majeure partie des crimes durant le conflit. En somme, l’histoire et la construction politique de la Colombie sont marquées par l’émergence d’une population pauvre, meurtrie, avec un passé sanglant, qui menace continuellement l’équilibre de l’état.
Revenons à nos moutons. Tantas Almas, c’est d’abord de la poésie à gogo, des scènes comme des tableaux et de superbes images. C’est surtout une dimension mémorielle de l’histoire d’une nation. Chaque fois qu’une société traverse des événements effroyables, comme des guerres, des massacres, la libération de la parole et l’acceptation collective prend racine dans un domaine artistique. Que ce soit du théâtre, des arts plastiques ou bien du cinéma.
Il y a une acceptation qui se dégage de cette réalisation, qui fait écho au passé et invite à se tourner vers le futur. »