Les grandes découvertes ont apporté une nouvelle vision du monde et un nouveau rapport aux autres. Les hommes de lettres, diplomates et artistes du XVIIIe et du XIXe siècles, racontent l’histoire des nouveaux horizons.
L‘orientalisme est un mouvement artistique qui traite des sujets d’orient, centre de gravité politique du XIXe siècle. A cette époque, l’envie de peindre l’Orient devient pressante. Les voyages d’artistes commencent réellement en 1871 par la visite de l’Espagne. Les objets décoratifs orientaux sont très prisés et envahissent les habitats occidentaux. Les artistes suivent cette tendance et partent exploiter de nouveaux horizons exotiques. Afin de mener une étude complète et ciblée, je base mon approche sur le travail du peintre Benjamin Constant, et plus particulièrement sur l’une de ses œuvres : les Chérifas, actuellement conservée au musée de Carcassonne. François Jean Baptiste Benjamin Constant débute sa carrière en 1869. Il ramena de ses voyages de nombreux objets qui lui servaient de décor exotique dans ses tableaux. Il devient l’un des ambassadeurs de l’art français à l’étranger, sa popularité s’étendait au-delà des frontières de la France, et même de l’Europe.
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L’orientalisme et le voyage des artistes
Des artistes français en mission diplomatique en Orient
Presque 40 ans séparent le voyage au Maroc de Delacroix et celui de Benjamin Constant. À l’époque, Delacroix part en mission diplomatique pour la France, qui souhaite reprendre possession de la mer méditerranée. Cette expédition s’inscrit alors dans le renouveau géopolitique de la mer Méditerranée, depuis la campagne d’Égypte de Bonaparte en 1798. Quant à Benjamin Constant, lorsqu’il se rend au Maroc, il se retrouve dans les mêmes circonstances que celles de Delacroix. La vision de l’artiste à l’égard du Maroc est colonialiste. Pour lui, ce pays est incapable de se moderniser, entretenu par une théocratie cruelle dont l’ingérence de la France est justifiée. L’artiste réalise des peintures théâtralisés, riches en sensations avec l’utilisation d’une palette puissante comme dans Les Derniers Rebelles, une scène d’histoire contemporaine. L’œuvre Le Roi du Maroc allant recevoir officiellement un ambassadeur européen, est composée d’une entrée triomphale et d’un cortège. Un thème récurrent que l’artiste s’amuse à recomposer en plusieurs tableaux.
Le Roi du Maroc allant recevoir officiellement un ambassadeur européen Les derniers Rebelles
L’Orient en atelier, l’orient immobile
Les ateliers d’artistes de l’époque sont fortement chargés en objets d’Orient. Benjamin Constant travaille au milieu d’un décor oriental. Il rassemble des brûle-parfums, tabourets polygonaux, tentures et tapis. Une pratique que l’on retrouvera chez d’autres artistes comme Georges Rochegrosse. L’action de l’artiste est conçue comme une orchestration de la visibilité.
« La Littérature a le théâtre. La Peinture a le Salon. »
B.Constant
Sa vision de l’Orient est à la fois réelle par le voyage et issue de ses fantasmes. On parle d’un Orient immobile. Avec Les Chérifas, l’artiste apparaît comme un des maîtres du genre orientaliste et de la couleur. Contrairement à Ingres qui n’a jamais été en Orient, il multiplie les observations in situ qu’il reproduit ensuite au sein de l’atelier.
Les Chérifas, peinture décorative et historique
Le spectateur se retrouve à l’intérieur d’un harem richement décoré. La pièce est divisée en deux plans. En premier plan, nous pouvons remarquer un grand brûle-parfum. La première femme à gauche dans la pénombre est assise, le dos appuyé contre la muraille, une étoffe verte jetée sur les jambes, le pied droit dans le vide. La seconde, est assise sur le bord du divan, de profil, redresse son torse-nu. Elle porte un diadème, des pendeloques, des bracelets, des anneaux de jambes en argent ornés de turquoises. La troisième allongée de face sur le divan. À l’extrémité droite, est assis, les genoux croisés, un eunuque nègre, en riche costume, qui tient son bras droit étendu sur des coussins et soulève de la main gauche la tenture d’une porte par où pénètre la lumière. L’artiste associe des parties qui sont entièrement noyées dans les ténèbres et de splendides mouvements de tissus réchauffés par un rayon de soleil latéral. La pénombre est réchauffée par une lumière orangée. La couleur joue un rôle important dans son œuvre et s’empare de son art lors de la découverte de l’Orient. Le peintre choisit de représenter des figures féminines grandeurs nature à demi-nues. Il suit les pas de Delacroix et d’Ingres, à l’origine des deux principaux courants de la peinture d’histoire sous la IIIe République. Toutefois, à la fin du siècle, la peinture d’histoire s’essouffle, il faut se renouveler. On se tourne vers des épisodes moins connus, vers la peinture décorative. Le goût pour la mise en scène théâtrale inverse le rapport de la figure au fond, l’architecture structurant l’Entrée du Sultan Mehmet, comme des images élémentaires. L’érotisme des Chérifas offre une narration sans transcendance qui se rapproche des spectacles illusionnistes, proches du diaporama ou du théâtre plein de sensualité et de corps nus.
La femme dans l’orientalisme
Dévoiler et révéler le féminin
Les femmes orientales fascinent les peintres, mais aussi les écrivains et poètes occidentaux. Dans les récits de voyageurs du XIXe, les femmes orientales sont décrites comme voilées, mais dans les représentations picturales, elles peuvent apparaître nues, sans voiles, montrant leur visage. La scène de Harem des Chérifas est une scène dans un espace clos, cachée et secrète. Le peintre dévoile de manière littérale les femmes, et l’intérieur d’un harem. On peut parler de l’imaginaire du dévoilement. La fermeture du voile est associée à la clôture du Harem et permet d’entretenir une forme de mystère, ce qui nourrit le fantasme occidental.
Le voile des femmes orientales est un symbole de mystère pour les occidentaux, mais surtout d’érotisme, il pique la curiosité des voyageurs qui cherchent à deviner, à découvrir ce qui s’y cache. Des écrits du XIXe siècle rapportent qu’à la vue d’un homme étranger, les femmes orientales ramenaient les tissues sur le visage, quitte à découvrir gorge ou poitrine. Un réflexe diffèrent de la culture occidentale. Tout un fantasme se créer auprès de ces femmes qui cacheraient un visage magnifique. Les peintres orientaux créent une représentation de la femme orientale opposée à la représentation d’un monde moderne qu’ils sont en train de construire. La paresse est associée à la sensualité de la femme. Benjamin Constant et ses contemporains créent des paradis clos dans lesquels les femmes se prélassent dans l’ignorance du monde extérieur. Si nous prenons l’œuvre Le soir sur les terrasses de Constant, on retrouve la posture lascive de ces femmes qui semblent attendre le retour d’un homme.
Le soir sur les terrasses Le flamant rose
Une ou des images des femmes orientales ?
L’image de cette femme, comme objet des désirs et des fantasmes masculins n’est pas la seule image que l’on trouve de la femme orientale. Benjamin Constant fait parti des peintres qui ont choisi de montrer la femme orientale comme objet de désir, d’autre affiche une image plus proche de la réalité. On constate que se sont majoritairement des historiens ou des anthropologues qui vont chercher une part de vérité concernant les femmes orientales, comme l’anthropologue allemand Carl Benjamin Klunzinger.
Une autre vision de ces femmes existe, beaucoup plus répandue dans la littérature. Elle met en avant le mystère et la crainte d’une culture différente. On les décrit même comme inquiétantes, comme des fantômes qui descendent dans les rues. Des spectres qui susciterait la crainte, d’après Alexandre Dumas. Il est cependant compliqué de trouver des représentations picturales relevant du réel concernant ces femmes. On peut citer Eugène Giraud, avec son œuvre les femmes d’Alger en 1881. Certaines sont voilées et semblent se cacher timidement, mais une certaine dimension de paresse présentent encore une dimension sexuelle et érotique.
Le mot de la fin…
L’image de la femme orientale au XIXe siècle, est un sujet adoré par les peintres occidentaux. Figure d’érotisme et de mystère, les femmes concentrent toutes les attentions. Ces images sont réalisées pour faire rêver et voyager les potentiels commanditaires des œuvres. C’est souvent à partir de recompositions, laissant place à l’imaginaire que le peintre créait et composait ces ambiances. L’orientalisme est donc un style artistique qui découle des ambitions colonialistes de l’Europe, et plus particulièrement ici, de la France. Un style qui reflète un sentiment de domination occidental bien ancrée dans les mentalités. L’apparition de la photographie et plus tard de la télévision viennent questionner le mythe de la femme orientale. L’approche devient beaucoup plus réaliste, avec des études d’anthropologues et d’intellectuels qui cherchaient à comprendre et rendre fidèle à la réalité, l’image de ces femmes orientales tant fantasmées.