Retour sur Simone Veil et la loi de l’avortement en France
Je présentais le triple défaut d’être une femme, d’être favorable à la légalisation de l’avortement et enfin, d’être juive.
S.Veil
Les années 1970 marquent un réel tournant en matière de droit à l’avortement et d’accès à la contraception. Cinquante ans après l’adoption de la loi Veil, la pratique de l’IVG est largement acceptée dans la société française. C’est Simone Veil, nommée ministre de la Santé, qui présente le projet à l’Assemblée nationale. Elle exerce la fonction de ministre de la Santé dès 1974, suite à l’élection récente de Valéry Giscard D’Estaing. La grande dame que nous connaissons aujourd’hui, prend la parole à l’Assemblée Nationale le 24 novembre 1974, pour l’ouverture des débats. La ministre s’exprime devant l’hémicycle, composé majoritairement d’hommes et elle y expose les problèmes liés aux avortements illégaux en France.
La dépénalisation de l’avortement en France est une question sociale importante à cette période. Elle s’applique à un contexte socio-historique spécifique. Il existe une loi datant de 1920 qui vise à interdire et réprimer l’avortement et l’utilisation de contraceptifs ainsi que la diffusion d’information à cet égard. L’objectif de cette loi est d’encourager la procréation afin de compenser les pertes humaines de la Première Guerre Mondiale. Ensuite, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, le code de la famille de 1939 renforce les poursuites et alourdit les condamnations des femmes ayant avorté. En 1942, sous le régime de Vichy, l’avortement est considéré comme un réel crime contre l’État. Cette mesure sera abrogée à la Libération.
En 1967, la loi Neuwirth abroge l’interdiction de la contraception de la loi de 1920. Cette loi est le poids d’ancrage des revendications du mouvement des femmes dans les années 1970. La publicité autour de la contraception reste interdite, les mineurs doivent avoir le consentement des parents pour son utilisation et les décrets ont été longs à mettre place. Malgré quelques avancées, la question de l’avortement se fait pressente, et c’est face à ce décalage entre la réalité et la loi que le gouvernement propose une nouvelle législation.
La genèse du texte de loi : entre études et constats
Les tentatives précédentes pour une nouvelle législation
La présentation d’une nouvelle législation de Simone Veil n’est pas le premier essai en 1974 en France. La question de la légalisation de l’avortement avait déjà agitée l’assemblée Nationale un an avant la présentation de Simone Veil. En effet, Jean Taittinger, ministre de la justice du gouvernement précèdent, sous Pierre Messmer, premier ministre, avait proposé un nouveau texte de loi permettant la légalisation de l’avortement dans des cas exceptionnels qui représentaient un danger pour la mère ou le fœtus. Le texte s’inspire d’une proposition précédente, celle du docteur Peyret à l’Assemblée Nationale en Juin 1970. Il prévoyait un élargissement des indications de l’avortement lorsque la vie de la mère était menacée dans l’immédiat ou suite à des complications durant la grossesse. A la Même époque, le bureau du parti communiste proposait une nouvelle législation avec les mêmes indications en ajoutant aux conditions d’avortement un problème sociale grave sans solution immédiate. Les projets furent rejetés.
L’opposition fut forte face à cette proposition. De nombreux mouvements se mirent en place comme la campagne intégriste « Laissez les vivres », une association créée par le Professeur Lejeune avec l’appui de l’extrême droite. L’organisation de la campagne électorale et l’arrivée de Giscard D’Estaing à la présidence ont suspendu les débats et les réflexions sur un nouveau projet de loi. La loi de 1920 était donc toujours appliquée. Et cette loi dite « scélérate » des années 1920 ne correspond plus à la société, la démographie Française a changé et elle évolue, mais cette loi est toujours d’actualité et elle est renforcée en 1923, par une nouvelle loi qui maintient le principe de criminalité pour les avortements. Donc, Simone Veil ne propose pas un projet « avant-gardiste » elle propose un projet dans la continuité des tentatives précédentes.
La création du texte de la loi Veil
Le projet a pu être élaboré grâce à une participation active du gouvernement et d’une aide de plusieurs personnes tierces qui a été précieuse. Cette loi est un enjeu pris en compte dès les élections présidentielles de 1974 : les deux candidats s’engagent en faveur d’une modification de la loi de 1920. Élu, Valéry Giscard d’Estaing est favorable à la libéralisation de l’IVG, il confie le projet a Simone Veil, qui dispose d’un appui important du gouvernement. Le projet est amorcé par le Président Giscard D’Estain et le Ministre D’état Michel Poniatowski. Quelques jours avant l’ouverture des débats, le conseil de l’ordre des médecins par la voix du président : le professeur Lortat-Jacob, s’oppose publiquement au projet de loi.
Le projet a en effet été longuement réfléchi, faisant appel à l’intervention de diverses personnes pour un recul nécessaire sur la question et la création d’un texte de loi cohérent. De nombreuses recherches et beaucoup d’auditions ont permis de saisir les réels enjeux de la création d’une nouvelle loi. La commission parlementaire a été très active dans l’étude de cas et de ces recherches. Les consultations étaient larges pour proposer un texte plus ambitieux que celui de Jean Taittinger. Les exemples Européens ont permis au gouvernement de prendre connaissance des différentes législations autorisant l’avortement sous certaines conditions. À partir de ces exemples, Simone Veil ne voulait pas mettre en place des commissions ayant pour rôle de gérer et autoriser l’accès à l’IVG car même encadré cette décision appartenait aux femmes et à elles seules. Il y a aussi eu une série de consultations avec le planning familial, notamment avec Gisèle Halimi, militante célèbre qui avait obtenu l’acquittement d’une mineure violée poursuivi pour avortement au procès de Bobigny en 1972, Il y a également eu des rencontres avec des représentants religieux : les échanges avec l’Église catholiques semblent s’être bien déroulés. Concernant les Gynécologues, les avis sont très partagés, ils sont pour la plupart contre la légalisation de l’avortement mais face aux drames des avortements illégaux, ils ont fini par être sensibles à cette cause.
Une loi qui n’est plus appropriée, une lutte pour la liberté du corps
Une loi obsolète
La loi de 1920 n’est plus appliquée et elle n’est plus applicable. Malgré les interdictions, les lois sont ignorées et contournées au grand jour, plus personne ne craint la justice et les répressions. La loi est donc obsolète : la seule solution, c’est la création d’une nouvelle législation. Après la Seconde Guerre Mondiale, le familialisme montre une réelle importance de la politique familiale et de la natalité en France. L’objectif est d’accroître le nombre de naissance mais aussi de vivre dans de meilleures conditions sanitaires. Ainsi, en 1945, la sécurité sociale est créée et mise en place. Cette vision conditionne la politique familiale dans les années qui suivent jusqu’en 1960. En 1939, le gouvernement créait une brigade policière avec pour mission de poursuivre les faiseurs d’anges en justice. En 1942, sous le régime de Vichy, l’avortement est déclaré comme étant un crime contre l’État. L’objectif est de faire remonter le taux de natalité après les pertes de la guerre. Ainsi, en 1943, Marie-Louise Giraud et Désiré Pioge, accusées d’avortement sont guillotinées pour l’exemple.
D‘abord, sous la pression des médias et de l’opinion publique, la justice ne poursuivait plus les délits liés à l’avortement. Ensuite, les délits commis sont bien trop nombreux pour pouvoir appliquer les sanctions définies par la loi. En définitif, elle n’est donc plus applicable. Nous pouvons citer l’exemple du procès de Bobigny, le 11 Octobre 1972 : Marie-Claire, 16 ans victime de viol est tombée enceinte. Elle compare ce jour-là devant le tribunal pour avortement illégal. Sa mère est accusée de l’avoir aidé. Le procès a été très médiatisé. Au final, la loi n’a pas été rigoureusement appliquée : Marie claire a été relaxé pour les circonstance atténuantes dû à son jeune âge et à « l’inconscience de la décision de son acte ». Les avortements ne peuvent pas être empêchés ou limités par l’application de mesures répressives. Les femmes qui avortent sont déterminées, peu importe les risques.
« Il n’y aura pas d’enfant, même au prix de ma vie »
C’est environs 150 000 à 300 000 femmes qui avortent illégalement chaque année d’après une enquête de l’union nationale des caisses d’allocations familiales. Ces avortements sont responsables de 20 000 à 60 000 décès par an. Beaucoup de médecins sont également inculpés et condamnés pour la pratique d’avortement.
Un contournement de la loi par les actions militantes
Non seulement la loi est obsolète et ne peut pas s’appliquer de manière rigoureuse, mais elle est aussi contournée ouvertement par des actions militantes. Les militants défendent ainsi le droit de disposer librement de son corps et le droit à l’avortement. De nombreuses manifestations sont aussi organisées pour lutter et obtenir la légalisation de l’avortement et le libre accès à la contraception. Ce sont d’abord des groupes de femmes qui se constituent peu à peu après 1968. Leurs conditions se traduit par une oppression commune, elles rejoignent pour beaucoup le mouvement Français pour la planification des familles : MFPF, crée en 1960 pour proclamer de disposer de son corps librement. En 1970, on voit l’apparition du Mouvement de la Libération des Femmes en France. Le mouvement demande une dissociation complète de la procréation et de la sexualité. Il y a aussi le Manifeste des 343, signé le 5 Avril 1971 par 343 femmes revendiquant le fait d’avoir avorté au moins une fois dans leur vie demandent le droit à l’IVG. Ce manifeste est un défi direct aux institutions, deux options s’offrent au gouvernement face à cette action : poursuivre les 343 femmes en justice, ce qui n’est pas possible ou bien, reconnaître que les lois répressives de 1920 et 1923 ne sont plus applicables. La loi est contournée par des associations qui aident les femmes à avoir accès aux renseignements nécessaires pour pouvoir avorter.
Avortement : des femmes en danger
Un bilan Humain catastrophique
« Elles sont 300.000 chaque année. Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames. »
On ne peut pas dire qu’elles sont immorales ou inconscientes. Elles ne représentent pas une minorité. 300 000 Femmes avortent chaque année, c’est un chiffre important. Environs une femme par jour mourrait d’un avortement illégal dans des conditions misérables. Aller jusqu’au massacre pour avorter, en détournant la loi et en étant conscient des risques montre que ces femmes y sont contraintes. La situation est donc bien catastrophique : la loi est largement ignorée et ces femmes se mettent en danger. Les avortements illégaux se déroulent dans des conditions effroyables, avec du matériel bien souvent dérisoires (aiguille à tricoter, cintre). C’est donc une véritable mutilation que subissent celles qui désirent avorter, pouvant provoquer des septicémies, hémorragies internes et entraînant dans les cas les plus extrême la mort. De plus, aucune limite de temps n’est fixée pour l’IVG, dû à leurs illégalités. Ainsi, certaines peuvent avoir recours à un avortement jusqu’à six ou sept mois de grossesses, ce qui représente un danger d’autant plus important. La barrière éthique est en plus de cela largement franchie a cette maturité de grossesse : il ne s’agit plus d’un fœtus. Cette situation est fréquente et s’explique par les nombreux refus d’aide et d’assistance à l’avortement qui retarde ce dernier. D’autre solution existe, un avortement illégal dans une clinique privée par exemple, avec un matériel plus efficace et plus sûr. Mais ce procédé a un coût important et n’est pas accessible à toutes.
Fermer les yeux, c’est ce que fait le pouvoir public mais aussi le milieu médical. La société française a parfaitement conscience du problème que représente les avortements illégaux. Un réel bras de fer est engagé : faut-il laisser ces opinions de côté en privilégiant la protection de la santé des femmes qui avortent ? Ou bien au contraire affirmer que l’avortement est immoral et doit rester interdit et sanctionné ? Les conditions d’avortements proposé par Simone Veil représentent la clé de voûte de la présentation du texte de loi. Le constat lui, ne change pas : Beaucoup de femmes avortent chaque année, elles sont la plupart du temps mutilés a vie. Certaines peuvent avorter jusqu’à quatre ou cinq fois au court de leur vie dans des conditions dangereuses. Elles se retrouvent dans la solitude, avec l’impossibilité de parler et un sentiment de honte.
Une injustice sociale
Au-delà du danger que cela représente, les avortements illégaux créent une grande inégalité sociale. Les femmes qui ont les moyens financiers peuvent avoir accès à un avortement dans de biens meilleures conditions que les femmes issues de la classe populaire qui se mettent en danger. De plus les femmes possédant les moyens financiers peuvent aussi aller en Suisse, en Angleterre, au Maroc en encore en Hollande pour avorter. Le corps médical est complice, souvent poursuit en justice. C’est par exemple le cas du professeur Jacques Monod, qui a reçu le prix Nobel de Médecine et qui intervient au procès de Bobigny pour la défense de Marie-Claire. Ainsi, Si Marie Claire avait eu les moyens financiers, elle serait allée avorter dans un pays voisin sous anesthésie avec du personnel qualifié ou les risques juridiques étaient inexistant. Le procès a déclenché de vives prises de positions.
« On ne peut pas supporter que des cars et des trains partent vers l’étranger pour que des femmes avortent »
Valéry Giscard d’Estaing
Les associations proposaient des départs en autobus à l’étranger pour permettre aux femmes issues des classes populaire de bénéficier des mêmes droits en matière d’avortement que les plus fortunées. Il est donc important de cadrer et de trouver des solutions humaines à ce problème tout en respectant un cadre éthique et moral. Jusqu’alors, aucune autre solution n’a fonctionné et il est urgent et impératif de trouver une solution réelle qui permettra de maintenir une égalité sociale face aux avortements et la sécurité de la santé des femmes qui avortent.
La nécessité de trouver une nouvelle législation pour les avortements en France était urgente et pressante. Face à une loi répressive ne correspondant plus à la société française, des sanctions qui ne pouvaient plus s’appliquer en justice et l’ignorance de cette même loi, trouver une solution s’impose. Simone Veil et le gouvernement propose un texte de loi visant à protéger la santé des femmes en légalisant la pratique de l’avortement sous certaines conditions. À l’issu de ce discours d’introduction, la loi a été voté dans la nuit du 29 Novembre avec deux-cent-quatre-vingt-quatre voix pour et cent-quatre-vingt-neuf voix contre. La loi est acceptée avec une courte majorité de la droite et la totalité de la gauche et extrême-gauche. Certaines positions, dont celle d’Eugène Claudius-Petit, montraient d’abord quelques hésitations, mais il considéra qu’entre ses pensées et la situation réelle de ces femmes, il préférait laisser sa pensée personnelle de côté et voter en faveur de la proposition de Simone Veil. Quinze jours plus tard, le texte est voté au Sénat, quasiment dans les mêmes termes.
Après la publication de la loi de 1975, l’application rapide de la loi fut exigée par les partisans de la liberté d’interruption de grossesse, ce fut une période intermédiaire assez confuse, la légalisation de L’IVG n’a pas augmenté le nombre d’avortement. Ce dernier a légèrement diminué dans les années suivant l’application de la loi. Plus tard, en 1982, Yvette Roudy fait voter une loi permettant la prise en charge complète de l’intervention volontaire de grossesse.